18 décembre 2020

Lorsque les médias ont publié, il y a un an, les premiers rapports faisant état d’une maladie respiratoire grave, il a fallu un certain temps avant que nous réalisions tous à quel point ce phénomène aurait un impact considérable sur notre vie. Au début, l’information et la désinformation ont été des facteurs importants. Cette maladie ou COVID-19, comme nous avons fini par l’appeler, était-elle vraiment une maladie grave ? Allait-elle se répandre dans le monde entier ? Comment allions-nous réagir et nous préparer ? 

Dans notre monde interconnecté, les nouvelles concernant la maladie se sont même propagées plus rapidement que la maladie elle-même. Celle-ci a d’abord frappé l’Asie et l’Europe, puis l’Amérique du Nord. Nous nous sommes habitués à rester à l’intérieur, à applaudir les agents de santé et à voir l’insupportable spectacle des camions militaires alignés pour recevoir les cercueils. ? l’arrière-plan, comme ils le sont souvent, se trouvaient les migrants du monde entier, une main-d’?uvre mobile.

Aujourd’hui, le monde compte plus d’un milliard de migrants1, et plus de 270 millions d’entre eux ont franchi des frontières internationales2. Dans la zone qui re?oit un appui du Bureau régional de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Vienne3, qui englobe l’Europe du Sud-Est, l’Europe de l’Est ainsi que l’Asie centrale, plus de 32 millions de migrants internationaux ont emprunté des routes migratoires anciennes et nouvelles4. Ils se déplacent le long de l’ancienne route de la soie, depuis la frontière chinoise jusqu’en Russie, en passant par la mer Caspienne, la mer Noire et au-delà. Ils acceptent des emplois dans d’anciennes industries manuelles, comme l’agriculture et la pêche, et poursuivent des carrières modernes dans les secteurs de la technologie, des finances et de la pétrochimie.

Ils quittent les ?tats soviétiques et leurs pays satellites autrefois fermés ou restent en leur sein, empruntant de nouveaux couloirs migratoires qui s’étendent de l’Ukraine à la Pologne, de la Moldova à la Roumanie, en passant par la Géorgie et les Balkans, acceptant souvent des emplois que les populations locales ne veulent pas. Ils occupent des emplois dangereux, font les sales besognes et, comme nous l’avons vu de plus en plus pendant la pandémie de COVID-19, les emplois essentiels de première ligne, comme ceux de médecins, de personnel infirmier, de soignants, de coursiers et de vendeurs.

Aucun phénomène n’a été aussi affecté par la réaction de l’humanité à la pandémie que la migration. Pour dire les choses simplement, les êtres humains étant le principal vecteur de la transmission du virus, nous avons d? prendre en compte les questions liées à la mobilité dès le premier jour.

En Europe de l’Est et en Asie centrale, une multitude de questions se sont posées auxquelles nous avons d? trouver simultanément des réponses. Le virus était éthéré, un métamorphe. Et au moment où nous pensions avoir compris quelque chose, les règles changeaient.

Nous devions examiner les aspects sanitaires évidents et décider comment protéger les communautés. Comment les gens pourront-ils rentrer chez eux ? Pourront-ils être testés et ne pas être infectés par le virus dans les trains, les avions, les autocars et les bateaux ? Que leur arrivera-t-il une fois de retour ? Les mouvements de masse mettront-ils à rude épreuve les communautés d’accueil déjà surpeuplées et pauvres ? Comment ces communautés feront-elles face sans les milliards de dollars générés par les envois de fonds des membres de leur famille à l’étranger ?

Les envois de fonds ont contribué à aider des centaines de millions de personnes à sortir de la pauvreté au cours de la dernière décennie, en donnant aux femmes un plus grand r?le dans la prise de décisions financières et en améliorant la santé et l’éducation dans certains des segments les plus pauvres et les plus vulnérables des sociétés. En 2019, les pays à revenu faible et intermédiaire ont re?u des envois de fonds internationaux s’élevant à plus de 550 milliards de dollars5. Tous ces gains allaient-ils être réduits à néant ?

Et qu’en sera-t-il de ceux qui n’ont pas pu rejoindre leur domicile ? Seront-ils de plus en plus marginalisés ? Les migrants bloqués seront-ils plus vulnérables à la violence, à l’exploitation, aux abus, à la discrimination et à la xénophobie ? Perdront-ils leur emploi, seront-ils dans l’incapacité d’envoyer des fonds à leur famille, perdront-ils leur logement, ne recevront-ils qu’un soutien limité et seront-ils confrontés à un manque d’accès aux services vitaux, notamment aux soins de santé ? Seront-ils plus enclins à adopter des comportements à risque susceptibles d’entra?ner des problèmes de santé physique et mentale ?

Ces questions effleurent à peine la surface de ce que l’OIM, nos ?tats membres, les communautés que nous appuyons et les migrants eux-mêmes ont d? affronter au cours de ces années très particulières. Nous avons tous d? nous habituer à de nouvelles fa?ons de vivre et de travailler, devant un écran d’ordinateur ou derrière une visière de protection en plastique, avec les masques faciaux omniprésents qui deviendront un symbole de cette époque, définissant chaque photo prise en 2020.

Notre région compte aujourd’hui la plus grande population de réfugiés et de migrants dans un seul pays (la Turquie) et est en proie à un conflit en Ukraine et dernièrement au Haut-Karabakh. Nous assistons à des flux continus vers l’Union européenne le long de routes qui commencent au c?ur de l’Asie. Divers gouvernements exercent leur pouvoir sur un mélange hétérogène de croyances ancestrales, de souches et de cultures, dont certaines remontent aux anciens empires. Leur comportement et leurs alliances, ainsi que les choix en matière de migration, sont souvent fondés sur ces liens anciens.

Même avant la pandémie, la migration dans cette région était diverse, importante et essentielle. Les changements climatiques, en grande partie causés par l’activité humaine, ont créé de nouveaux facteurs et motifs de migration. Alors que nous commen?ons à entrevoir une imprévisible reprise après le choc de la COVID-19, une plus grande attention doit être accordée aux terres, aux lacs, aux forêts et aux champs de cette immense partie de la planète, qui couvre onze fuseaux horaires.

Avant tout, nous mettrons l’accent sur le fait qu’il n’y aura de reprise que si elle est complète et globale. Cela signifie que les migrants doivent être inclus dans les programmes de vaccination et de soins. Nous avons besoin de toute urgence du dynamisme vibrant de la migration pour reconstruire nos économies anéanties et atteindre la prospérité en route vers un monde équitable et durable.

? l’occasion de la Journée internationale de la migration (le 18 décembre), il n’y a pas de plus belle inspiration pour conclure que les paroles du Secrétaire général des Nations Unies António Guterres :

? Nous avons vu l’émergence de discours hostiles aux migrants alimentant la xénophobie et la stigmatisation même envers les populations dont les contributions ont été si précieuses. Nous avons maintenant une occasion de repenser la mobilité humaine, afin d’édifier des sociétés plus inclusives et plus résilientes où une migration bien gérée tire parti de l’expertise et de la motivation des migrants pour relancer les économies dans leur pays et ailleurs6 ?.

Notes

1 Organisation mondiale de la santé, ? Santé des réfugiés et des migrants ?. Disponible sur le site https://www.who.int/migrants/en/.
2 Organisation internationale pour les migrations, Rapport sur l’état de la migration dans le monde 2020 (Genève, 2019), p. p. 2, 19, 22. Disponible sur le site /sites/un2.un.org/files/wmr_2020.pdf.
3 Le bureau dessert l’Europe du Sud-Est, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale. Pour plus d’informations, voir le site du Bureau régional à https://rovienna.iom.int/.
4 Organisation internationale pour les migrations, ? Données essentielles sur la migration 2018. SEEECA 2018 : faits et chiffres ? (Vienne, Bureau régional de l’OIM à Vienne, 2018), p. 2. Disponible sur le site https://rovienna.iom.int/sites/default/files/document/1.%20RO%20SEEECA%20Factsheet%20%282018%29_0.pdf.
5 Dilip Ratha et al., ? Data release: Remittance to low- and middle- income countries on track to reach $551 billion in 2019 and $597 billion by 2021 ?, World Bank Blogs, octobre 16, 2019. Disponible sur le site https://blogs.worldbank.org/peoplemove/data-release-remittances-low-and-middle-income-countries-track-reach-551-billion-2019.
6 António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, discours à l’occasion de la Journée internationale des migrants, le 18 décembre 2020.

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