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Sida : sombres perspectives pour l'Afrique

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Sida : sombres perspectives pour l'Afrique

L'épidémie se ralentit dans certains pays, mais s'intensifie ailleurs
Afrique Renouveau: 

Epidémie du sida en Afrique subsaharienne, 2001
(en millions de personnes)

En Afrique

Dans le monde

Nombre total d'infections au VIH

28 500

40 000

Nombre total de décès

2 200

3 000

Nouvelles infections

3 500

5 000

Enfants (0-14 ans) séropositifs

2 600

3 000

Décès d'enfants (estimation élevée)

650

720

Nombre d'orphelins du sida

11 000

14 000

Accès au traitement antirétroviral

30

730


Source : ONU Afrique Relance, d'après des données de l'ONUSIDA.

Alors que le monde entier semble enfin prendre conscience du danger que représente le VIH/sida, l'épidémie continue à faire des ravages en Afrique subsaharienne, où, l'an dernier, 2,2 millions de personnes sont mortes de la maladie et 3,5 millions ont été infectés par le virus VIH, qui détruit les défenses naturelles de l'organisme. En tout, on estime à 28,5 millions le nombre total d'Africains atteints du virus mortel à la fin de l'année 2001, ce qui représente 70 % de la population séropositive dans le monde. Sur ce total, seulement 30 000 Africains auraient accès au traitement antirétroviral qui a permis de réduire considérablement le nombre de décès du sida dans les pays développés.

Ces nouveaux chiffres, qui figurent dans le "Rapport sur le VIH/sida dans le monde" du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida, déçoivent les experts qui espéraient que l'épidémie aurait atteint sa "limite naturelle" en Afrique et que le nombre de nouvelles infections par le VIH se stabiliserait sans qu'il soit nécessaire de mettre en place de nouveaux et coûteux programmes de traitement et de prévention. Au contraire, l'épidémie semble maintenant sur le point de se propager à plus grande échelle dans les pays de l'Afrique occidentale et centrale, jusque-là épargnés par les taux d'infection à deux chiffres de l'Afrique australe et orientale. Au Cameroun, le taux d'infection parmi la population adulte des zones urbaines, qui était de 4,7 % en 1996, a plus que doublé pour atteindre 11,8 % en 2001. Au Nigéria, pays voisin qui est le plus peuplé d'Afrique, le taux de séropositivité est de 5,8 %, mais avec des pointes de 11 à 12 % dans certaines régions. Le nombre de Nigérians porteurs du virus, estimé à 3,5 millions, se place au deuxième rang mondial derrière l'Afrique du Sud.

Selon les chercheurs, la situation n'est pas meilleure en Asie ou en Europe de l'Est, où le virus risque de connaître une croissance exponentielle. "Les chiffres indiquent que le VIH/sida se répand rapidement dans les régions de la planète où l'épidémie semblait stabilisée ou limitée aux catégories à très haut risque d'infection", a expliqué aux journalistes le docteur Peter Piot, Directeur exécutif de l'ONUSIDA. A son avis, si la lutte contre le sida n'est pas considérablement renforcée, l'épidémie pourrait faire 68 millions de victimes de plus d'ici à 2020, dont 55 millions rien qu'en Afrique.

Malgré l'augmentation considérable depuis quatre ans des budgets alloués à la lutte contre le sida dans les pays à revenus faibles ou moyens, les trois milliards de dollars réunis à ce jour ne représentent que moins du tiers des 10 milliards de dollars par an nécessaires, de l'avis des experts, au financement d'une action "crédible" à l'échelle mondiale. "Il est clair à présent que l'épidémie du sida n'en est qu'à ses débuts. Mais il est aussi clair que notre riposte en est à un stade encore plus primitif", affirme le docteur Piot.

Aggravation de la crise

En 2001 le sida a resserré son étau meurtrier sur l'Afrique australe, qui était déjà l'épicentre de l'épidémie planétaire. En effet, les sept pays du monde où les taux d'infection chez les adultes sont supérieurs à 20 % se trouvent dans la région. Il s'agit notamment du Botswana, avec un taux de 38,8 %, et du Zimbabwe, où un adulte sur trois est séropositif. Pourtant, même ces chiffres alarmants ne laissent pas entrevoir le véritable impact de la maladie auprès de populations très vulnérables. C'est ainsi que le taux de séropositivité des femmes enceintes du Botswana, qui dépassait les 38 % en 1997, a atteint presque 45 % à la fin de l'an dernier. Dans le groupe d'âge des 25-29 ans, les taux dépassent 55 %.

Les taux astronomiques de séropositivité parmi les femmes en âge de procréer ont de lourdes répercussions sur les enfants, dont bon nombre sont contaminés par leur mère ou deviendront orphelins. Le fait qu'environ la moitié des nouveaux cas d'infections d'adultes interviennent chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans est révélateur. Ce phénomène indique, selon le docteur Piot, que malgré les programmes d'éducation et de prévention anti-sida qui existent depuis une vingtaine d'années, "les jeunes n'ont ni les informations ni les moyens de se protéger du VIH".

Ceci vaut particulièrement pour les femmes, qui représentaient près de 60 % des nouveaux cas de séropositivité enregistrés en Afrique en 2001. Une récente étude sur les jeunes et le VIH/sida menée par l'ONUSIDA, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a indiqué qu'au Cameroun, en République centrafricaine, en Guinée équatoriale, au Lesotho et en Sierra Leone, quatre jeunes femmes sur cinq ne savaient pas comment se protéger contre l'épidémie. "Cela a une conséquence tragique : la proportion démesurée de jeunes femmes séropositives", déplore Carol Bellamy, Directrice générale de l'UNICEF.

Par ailleurs, on ne fait que commencer à mesurer les répercussions du sida sur le développement des pays les plus gravement touchés par l'épidémie. A Barcelone, le 8 juillet dernier, lors de l'ouverture de la quatorzième Conférence internationale sur le sida, le docteur Bernhard Schwartlander, responsable du département VIH/sida de l'OMS, a prédit que 25 % de la main-d'oeuvre des pays gravement touchés mourraient d'ici à 2020 de maladies liées au sida. Une telle hécatombe fragiliserait le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) et paralyserait la croissance économique et la lutte contre la pauvreté. Une étude de 1999 de l'OMS sur les conséquences du sida sur la production agricole au Zimbabwe a révélé que les ménages ruraux dont un membre est mort du sida voyaient leur production de maïs, l'aliment de base du pays, diminuer de 61 % et leur production de légumes de 49 %.


L'épidémie semble sur le point de se propager à plus grande échelle dans les pays de l'Afrique occidentale et centrale jusque-là épargnés par les taux d'infection à deux chiffres de l'Afrique australe et de l'Est.


Le docteur Schwartlander a affirmé par ailleurs que le sida était responsable de 75% des décès parmi les policiers du Kenya et devrait coûter la vie à 7 000 instituteurs du Malawi d'ici 2010. A Gaborone et à Francistown, a-t-il précisé, "parmi les personnes assises dans un bus ou marchant dans la rue, une sur trois est séropositive. Je n'arrive pas à me faire à ces chiffres".

Une représentante du Bureau du recensement des Etats-Unis, Karen Stanecki, a déclaré à Barcelone que d'après les projections de son département, en cas de propagation moyenne de l'épidémie, l'espérance de vie moyenne au Botswana et au Mozambique reculerait de 46 ans (en 1999) à 27 ans seulement d'ici 2010, et passerait en dessous des 40 ans dans neuf autres pays du continent. Si ces prévisions s'avéraient justes, le nombre d'orphelins africains du sida devrait littéralement exploser, passant de 11 à 20 millions d'ici 2020. "Le VIH/sida anéantit les dizaines d'années de progrès économiques réalisés sur le continent, a affirmé le docteur Piot. Chaque membre de la société africaine, qu'il soit instituteur, soldat ou agriculteur, est en danger."

Nouvelle perception, vieux problèmes

Malgré ce tableau sombre, les représentants de l'ONUSIDA affirment qu'il y a eu un changement dans la manière dont la communauté internationale perçoit la menace que pose le virus sur le plan de la croissance économique et de la stabilité. "Depuis deux ans, le monde a pris conscience de l'épidémie et des efforts à faire pour la maîtriser, constate le docteur Piot. C'est un nouveau départ dans la lutte mondiale contre le sida." Pour leur part, les experts de la santé soulignent quatre grandes raisons d'être optimiste:

  • une mobilisation politique nettement renforcée dans la lutte contre le sida
  • a multiplication par six depuis 1998 du financement des programmes d'information et de prévention dans les pays en développement
  • la baisse sensible des prix des médicaments anti-sida, notamment des antirétroviraux
  • la réduction des taux d'infection au VIH obtenue dans plusieurs pays en développement grâce à de grands programmes de mobilisation et d'information

L'Ouganda continue de prouver que des programmes d'éducation et de prévention soigneusement préparés, adéquatement financés et fortement soutenus par les responsables politiques permettent de freiner la progression de l'épidémie dans les pays en développement. L'an dernier, le taux d'infection des adultes au niveau national n'était plus que de 5 %, contre 8,3 % en 1999 et plus de 10 % au début des années 90. Au début de l'année, le Botswana est devenu le premier pays d'Afrique (voir "L'offensive du Botswana contre le sida") à mettre à la disposition de ses citoyens des services d'information, de dépistage et de soins médicaux contre le sida, y compris des antirétroviraux.

En Zambie, des efforts concertés en matière d'information et de prévention auprès des femmes ont permis de réduire les taux d'infection parmi les jeunes femmes des zones urbaines de 28,3 % en 1996 à 24,1 % ; un recul du même ordre a été constaté chez les jeunes rurales. Une campagne de promotion de l'utilisation du préservatif auprès des prostituées d'Abidjan a donné des résultats plus spectaculaires encore, avec une chute des taux d'infection de 89 % en 1991 à 32 % en 1998.

Comme d'habitude ou "plus jamais ça"?

Mais en Afrique comme dans d'autres régions pauvres de la planète, les programmes anti-sida efficaces constituent en 2001 l'exception plus que la règle. Malgré le lancement dans le monde d'une centaine d'organismes nationaux de coordination de la lutte contre l'épidémie, de nombreux gouvernements et représentants de la société civile peinent à renforcer la mobilisation politique, à préparer des plans d'action efficaces, et, avant tout, à surmonter la grave pénurie de ressources humaines et matérielles. Par ailleurs, donateurs et militants d'organisations non gouvernementales diffèrent sur les priorités à financer, les droits de brevet et l'administration effective de traitements aux millions de personnes séropositives des pays en développement.

En Afrique du Sud, la question de savoir s'il appartenait aux services de santé de l'Etat d'offrir aux femmes enceintes des traitements qui réduisent les chances de transmission du VIH de la mère à l'enfant a suscité une polémique avec les militants et est allée jusqu'à la Cour constitutionnelle, qui a tranché en faveur des femmes. Au Botswana, le programme ambitieux du gouvernement qui consiste à offrir des soins à toutes les personnes atteintes du virus se heurte à la peur de l'exclusion et au manque de personnel qualifié, de dispensaires, de laboratoires et de services de dépistage et de consultation.

Mais c'est l'insuffisance des fonds que la communauté internationale accorde à la lutte contre le sida en Afrique et dans d'autres régions pauvres de la planète que les organisations non gouvernementales (ONG) et les experts de la santé critiquent le plus. Tout en se félicitant de la récente augmentation de l'aide octroyée aux pays en développement, ils affirment que le financement insuffisant des programmes anti-sida des pays pauvres a coûté la vie à des millions de personnes, et pourraient faire des millions de morts supplémentaires si les contributions restent insuffisantes.

Malgré le lancement très médiatisé l'an dernier du Fonds mondial contre le sida, celui-ci n'a recueilli que deux milliards de dollars -- somme bien inférieure aux espoirs des dirigeants de l'ONU. Comme cet argent est versé sous forme de subventions sur plusieurs années, explique l'Emissaire spécial du Secrétaire général de l'ONU pour le sida en Afrique, Stephen Lewis, le Fonds n'a en fait obtenu que 7 % du budget initialement prévu.

A la veille de la conférence de Barcelone, deux grandes ONG du Nord, Médecins sans Frontières et Health Gap Coalition, ont accusé les pays riches de "négligence délibérée" pour avoir refusé de financer convenablement les programmes anti-sida de l'Afrique. "Le refus de l'Union européenne et d'autres pays donateurs d'octroyer une aide financière suffisante aux programmes de soins peu coûteux a déjà condamné à mort des millions de personnes", a affirmé le docteur Alan Berkman, fondateur de Health Gap Coalition. "Les chances de réussite de ces traitements n'ont jamais été meilleures. Mais tant que les pays riches refusent de payer, rien n'a d'importance." Les militants de cette ONG ont organisé une série d'actions tapageuses sur les lieux de la conférence, occupant les stands de laboratoires pharmaceutiques, exigeant une action plus ferme du secteur privé et perturbant l'intervention du Ministre américain de la santé, Tommy Thompson.

Le temps des promesses est révolu, a affirmé le docteur Piot à Barcelone : "L'époque où les dirigeants de la planète ignoraient nos appels est terminée. Des engagements ont été pris. Il faudra les tenir maintenant." Dans un discours remarqué pour la dureté de son ton, le Directeur de l'ONUSIDA, d'habitude si diplomate, a accusé les dirigeants politiques de l'Afrique et du reste du monde d'avoir regardé mourir sans rien faire des millions d'Africains. "On ne peut pas continuer à être des observateurs passifs lorsque l'histoire se répète sur d'autres continents, et on ne peut pas abandonner l'Afrique alors qu'elle essaie de lutter contre les effets désastreux de l'épidémie... Le monde a assisté sans bouger à la progression dévastatrice du sida en Afrique subsaharienne. Que cela ne se reproduise plus jamais", a-t-il conclu.