29 juin 2020 ¡ª Au moment o¨´ le d¨¦bat sur la discrimination raciale et les violences polici¨¨res gagne en intensit¨¦ ¨¤ l¡¯¨¦chelle mondiale, les Nations Unies appellent la communaut¨¦ internationale ¨¤ agir urgemment pour faire reculer les in¨¦galit¨¦s structurelles sous-jacentes mises en ¨¦vidence et aggrav¨¦es par la pand¨¦mie de COVID-19.

Risque d¡¯infection plus ¨¦lev¨¦, moindre acc¨¨s aux soins de sant¨¦, plus fortes retomb¨¦es socio¨¦conomiques : les donn¨¦es disponibles font clairement appara?tre que le coronavirus affecte de mani¨¨re disproportionn¨¦e certaines communaut¨¦s et minorit¨¦s raciales ou ethniques.  

Ces derni¨¨res, ? souvent rel¨¦gu¨¦es ¨¤ un statut socio¨¦conomique inf¨¦rieur et soumises ¨¤ une discrimination bien ¨¦tablie, ont ¨¦t¨¦ rendues particuli¨¨rement vuln¨¦rables, par ces facteurs, ¨¤ des taux plus ¨¦lev¨¦s d'infection et de mortalit¨¦, ¨¤ un traitement s¨¦v¨¨re par les forces de l'ordre dans le cadre des mesures d'urgence et ¨¤ un acc¨¨s in¨¦gal ¨¤ des soins m¨¦dicaux ad¨¦quats ?, confirme la note de synth¨¨se de l¡¯ONU sur l¡¯impact de la COVID-19 sur les droits de l¡¯homme.

Les chiffres sur les effets directs de la maladie sont ¨¦clairants. Dans l'?tat br¨¦silien de Sao Paulo, les personnes de couleur ont 62 % plus de risques de mourir du virus que les personnes blanches. En France, dans le d¨¦partement de la Seine-Saint-Denis o¨´ vivent de nombreuses minorit¨¦s, une surmortalit¨¦ plus ¨¦lev¨¦e a ¨¦galement ¨¦t¨¦ signal¨¦e. Aux ?tats-Unis, le taux de mortalit¨¦ li¨¦ ¨¤ la COVID-19 chez les Afro-Am¨¦ricains serait plus de deux fois sup¨¦rieur ¨¤ celui des autres groupes raciaux.

C¡¯est ainsi qu¡¯¨¤ Chicago, ville o¨´ un tiers de la population est afro-am¨¦ricaine, cette communaut¨¦ repr¨¦sente 29,7 % des personnes infect¨¦es par la COVID-19 et 43,6 % des d¨¦c¨¨s, contre respectivement 14,5 % et 19,2 % pour la population blanche. Par comparaison, les personnes d¡¯origine hispanique sont plus atteintes par le virus, avec 47,7 % du total des cas d¨¦clar¨¦s, mais leur taux de d¨¦c¨¨s est de 31,8 %.  

Alors que les cons¨¦quences de cette crise se r¨¦v¨¨lent d¨¦vastatrices pour la sant¨¦ des personnes d¡¯ascendance africaine, on enregistre aussi une augmentation significative de la violence verbale et du harc¨¨lement ¨¤ l¡¯encontre des minorit¨¦s, en particulier des personnes d¡¯origine asiatique et des Roms.  

Deux experts de l¡¯ONU dans le domaine des droits de l¡®homme, la Rapporteure sp¨¦ciale sur le racisme, E. Tendayi Achiume, et son homologue pour les questions relatives aux minorit¨¦s, Fernand de Varennes, ont le gouvernement bulgare ¨¤ mettre fin ¨¤ la discrimination raciale ¨¤ l¡¯encontre de la minorit¨¦ rom dans sa r¨¦ponse ¨¤ la COVID-19 et ¨¤ cesser les op¨¦rations de police ciblant les quartiers roms pendant la pand¨¦mie.

Recul pour les droits humains et le d¨¦veloppement durable   

Ce faisant, la crise actuelle met en p¨¦ril la mise en ?uvre effective du Programme de d¨¦veloppement durable ¨¤ l¡¯horizon 2030, et notamment son objectif n¡ã10, qui vise ¨¤ r¨¦duire les in¨¦galit¨¦s au sein des pays et entre eux. Elle empi¨¨te aussi sur l¡¯exercice des droits humains, au point que l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale de l¡¯ONU, dans sa premi¨¨re relative ¨¤ la COVID-19, a d? souligner ? qu¡¯aucune forme de discrimination, de racisme ou de x¨¦nophobie n¡¯a sa place dans l¡¯action contre la pand¨¦mie ?.

Dans une publi¨¦e le 22 juin, le rappelle qu¡¯en vertu du droit international des droits de l¡¯homme, les ?tats sont tenus d¡¯interdire et d¡¯¨¦liminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et de garantir le droit de chacun, sans distinction de race, de couleur, d¡¯ascendance ou d¡¯origine nationale ou ethnique. Ils doivent ¨¦galement garantir le droit de chacun ¨¤ l'¨¦galit¨¦ devant la loi.

? C'est une trag¨¦die qu'il ait fallu la COVID-19 pour exposer ce qui aurait d? ¨ºtre ¨¦vident - que l'in¨¦galit¨¦ d'acc¨¨s aux soins de sant¨¦, les logements surpeupl¨¦s et la discrimination omnipr¨¦sente rendent nos soci¨¦t¨¦s moins stables, moins s?res et moins prosp¨¨res ?, a , d¨¦but juin, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l¡¯homme, Michelle Bachelet.

De fait, a-t-elle averti, ? les efforts d¨¦ploy¨¦s pour s'attaquer ¨¤ la COVID-19 et pour entamer le processus de r¨¦tablissement ne seront couronn¨¦s de succ¨¨s que si les droits de chacun ¨¤ la vie et ¨¤ la sant¨¦ sont prot¨¦g¨¦s, sans discrimination ?.

Priorit¨¦ ¨¤ l¡¯¨¦galit¨¦ d¡¯acc¨¨s aux soins de sant¨¦

Une jeune femme rend visite a une femme agee afin de collecter des donn¨¦es en temps r¨¦el.

Pour le HCDH, il est donc imp¨¦ratif que toutes les personnes aient un acc¨¨s ¨¦gal aux soins de sant¨¦, et cela passe par l¡¯¨¦limination des pratiques discriminatoires ¨¤ l'¨¦gard des groupes raciaux ou ethniques, notamment par le biais de politiques et programmes tenant compte de leur situation d¨¦favoris¨¦e.

? Des mesures urgentes doivent ¨ºtre prises par les ?tats, comme la priorit¨¦ donn¨¦e ¨¤ la surveillance et au d¨¦pistage de la sant¨¦, l'am¨¦lioration de l'acc¨¨s aux soins de sant¨¦ et la fourniture d'informations cibl¨¦es pour ces communaut¨¦s ?, a Mme Bachelet.

Outre des tests gratuits ou abordables, le Haut-Commissariat appelle ¨¤ une plus large utilisation des cliniques mobiles pour atteindre les personnes marginalis¨¦es et les communaut¨¦s vuln¨¦rables.  Il pr¨¦conise en outre une diffusion des informations m¨¦dicales et pr¨¦ventives dans les langues minoritaires et l¡¯implication des communaut¨¦s et de leurs repr¨¦sentants dans les programmes de sant¨¦ qui les concernent.

Si ces mesures restent le plus souvent ¨¤ l¡¯¨¦tat de projet, des initiatives positives sont prises au niveau national pour informer et soutenir les minorit¨¦s raciales et ethniques aux prises avec la COVID-19. Au sein de l¡¯, par exemple, l¡¯accent est ainsi mis sur les Roms et les migrants. La Slovaquie propose un site d¡¯information d¨¦di¨¦ en langue rom, tandis que la Gr¨¨ce a fourni 2,25 millions d¡¯euros d¡¯aides m¨¦dicales et de fournitures de protection ¨¤ 98 municipalit¨¦s accueillant des communaut¨¦s roms.    

S¡¯agissant des migrants et des demandeurs d¡¯asile en situation irr¨¦guli¨¨re, populations parmi les plus vuln¨¦rables face ¨¤ la maladie, certains pays comme le Portugal leur ont accord¨¦ des droits de s¨¦jour ¨¤ titre temporaire afin de leur donner un acc¨¨s complet aux soins de sant¨¦ ¨¤ mesure que l¡¯¨¦pid¨¦mie s¡¯intensifie. Au Costa Rica, des tests sont fournis gratuitement ¨¤ toute personne qui en aurait besoin.

Toujours en Am¨¦rique centrale, le Bureau r¨¦gional du HCDH, en coordination avec des organisations de femmes autochtones et le Minist¨¨re de la sant¨¦ du Panama, a facilit¨¦ l'acc¨¨s aux informations sur la COVID-19 dans sept langues autochtones, par le biais de supports audiovisuels et de messages radio.

Aux Maldives, o¨´ l¡¯¨¦pid¨¦mie est globalement contenue, les autorit¨¦s ont ouvert une clinique d¨¦di¨¦e aux travailleurs expatri¨¦s, y compris les sans-papiers et les migrants en situation irr¨¦guli¨¨res. Les soins sont gratuits et nul n¡¯a ¨¤ pr¨¦senter des documents d'identit¨¦.

Des groupes soumis ¨¤ une forte pression polici¨¨re et judiciaire

En cette p¨¦riode de crise, souligne le HCDH, les informations collect¨¦es montrent ¨¦galement que les personnes d'ascendance africaine sont contr?l¨¦es de mani¨¨re disproportionn¨¦e, mais aussi harcel¨¦es et cat¨¦goris¨¦es par les autorit¨¦s charg¨¦es du maintien de l¡¯ordre, alors que d'autres personnes sont trait¨¦es diff¨¦remment ou ne font l'objet d'aucun contr?le.

En outre, dans de nombreux pays, les prisons et autres lieux de d¨¦tention, o¨´ les groupes marginalis¨¦s - notamment les personnes d¡¯ascendance africaine, les autochtones et les minorit¨¦s ethniques - sont largement repr¨¦sent¨¦s, se r¨¦v¨¨lent ¨ºtre des foyers de propagation du virus en raison de leur surpeuplement et d¡¯un acc¨¨s limit¨¦ aux soins de sant¨¦.

L'absence de prise en compte par les ?tats-Unis des risques accrus dans leurs lieux de d¨¦tention a conduit une quinzaine d¡¯experts onusiens, dont Mme Achiume et plusieurs membres du , ¨¤ appeler le gouvernement f¨¦d¨¦ral am¨¦ricain ¨¤ une r¨¦duction urgente de la population carc¨¦rale dans tout le pays. 

? Les minorit¨¦s, notamment les Afro-Am¨¦ricains, sont repr¨¦sent¨¦s de mani¨¨re disproportionn¨¦e ¨¤ la fois parmi la population carc¨¦rale et chez ceux qui succombent de la COVID-19 ?, ont-ils , avant d¡¯avertir que ? tout ¨¦chec ¨¤ att¨¦nuer efficacement le risque qui en r¨¦sulte est ¨¦galement un probl¨¨me de discrimination raciale et de justice raciale d'une importance capitale ?.

La pand¨¦mie met aussi ¨¤ rude ¨¦preuve l¡¯administration g¨¦n¨¦rale de la justice dans certains ?tats. Des retards ont ainsi ¨¦t¨¦ enregistr¨¦s dans les proc¨¦dures judiciaires et les capacit¨¦s r¨¦duites des tribunaux ont conduit ¨¤ la prolongation de la d¨¦tention pour des personnes pouvant b¨¦n¨¦ficier d'une lib¨¦ration anticip¨¦e.  L¨¤ encore, note le Haut-Commissariat, ces probl¨¨mes affectent particuli¨¨rement les d¨¦tenus appartenant ¨¤ des minorit¨¦s raciales ou ethniques.

Du personnel distribue de l'information a domicile a une femme dans un quartier pauvre.

Face ¨¤ ces traitements discriminatoires, le HCDH renvoie ¨¤ l¡®¨¦galit¨¦ devant la loi et exhorte les ?tats ¨¤ pr¨¦voir des recours efficaces en cas d'incidents racistes ou x¨¦nophobes, notamment lorsqu¡¯ils sont commis par des agents des force de l¡¯ordre. Il les invite aussi ¨¤ ¨¦valuer r¨¦guli¨¨rement le niveau de satisfaction des communaut¨¦s concernant leurs relations avec la police et le syst¨¨me judiciaire, y compris leur perception des pr¨¦jug¨¦s raciaux dans le maintien de l'ordre et l¡¯administration de la justice.

Plus g¨¦n¨¦ralement, ? les ?tats devraient veiller ¨¤ ce que toute mesure d'urgence en r¨¦ponse ¨¤ la pand¨¦mie soit con?ue et mise en ?uvre de mani¨¨re ¨¤ ¨ºtre exempte de discrimination ou st¨¦r¨¦otypage direct ou indirect fond¨¦ sur la race, l¡¯origine nationale ou ethnique, le sexe ou autre statut ?.

? En tout temps, mais surtout pendant une crise, un pays a besoin que ses dirigeants condamnent sans ¨¦quivoque le racisme, r¨¦fl¨¦chissent ¨¤ ce qui a pouss¨¦ les gens jusqu¡¯¨¤ un point d¡¯¨¦bullition, ¨¦coutent et apprennent, et prennent des mesures qui s'attaquent v¨¦ritablement aux in¨¦galit¨¦s ?, a Mme Bachelet, alors que d¨¦butait le mouvement de protestation mondial contre les violences polici¨¨res. Une vague n¨¦e fin mai aux ?tats-Unis ¨¤ la suite de la mort de George Floyd, un Afro-Am¨¦ricain tu¨¦ par un policier blanc rest¨¦ agenouill¨¦ sur son cou pendant plus de huit minutes.

Les donn¨¦es ventil¨¦es par ethnicit¨¦ encore trop rares

La COVID-19 fait ressortir bien d¡¯autres in¨¦galit¨¦s structurelles sous-jacentes, notamment dans l¡¯acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦ducation. Quand les ¨¦coles et les universit¨¦s sont ferm¨¦es, les enfants et les jeunes membres de minorit¨¦s raciales ou ethniques sont moins susceptibles que les autres de b¨¦n¨¦ficier des outils d¡¯enseignement ¨¤ distance, d¡¯Internet et m¨ºme d¡¯un soutien parental.

Ces disparit¨¦s se retrouvent dans la jouissance des droits fondamentaux au logement convenable, ¨¤ l¡¯alimentation, ¨¤ l¡¯eau et ¨¤ l¡¯assainissement, au travail et ¨¤ un niveau de vie suffisant, observe le HCDH, tout en mettant en garde contre de nouvelles discriminations raciales ou retomb¨¦es n¨¦gatives li¨¦es au d¨¦confinement et ¨¤ l¡¯all¨¨gement des restrictions de circulation, en cours dans de nombreux pays.

Les pr¨¦occupations du Haut-Commissariat concernent en particulier le d¨¦veloppement d¡¯un vaccin contre la COVID-19, les conditions d¡¯acc¨¨s, la d¨¦livrance de ? ? ou ? certificats d¡¯absence de risque ?, la surveillance et le suivi des survivants du virus, la politique d¡¯immigration et la gestion des contr?les aux fronti¨¨res.

? Afin de documenter et de traiter efficacement les manifestations de discrimination raciale, il est urgent de garantir la collecte de donn¨¦es ventil¨¦es, conform¨¦ment aux normes des droits de l'homme, pendant et apr¨¨s la crise de COVID-19 ?, fait-il valoir, tout en d¨¦plorant que la ventilation par race ou origine ethnique soit encore trop rare. 

Le HCDH cite ¨¤ cet ¨¦gard une r¨¦cente ¨¦tude de la revue The Lancet qui a r¨¦v¨¦l¨¦ que 7 % seulement des documents et des rapports de surveillance nationaux sur la COVID-19 contenaient des donn¨¦es ventil¨¦es par ethnicit¨¦. Un d¨¦ficit pr¨¦occupant alors que le coronavirus se propage dans des zones ¨¤ forte concentration ethnique.  
Pour le Groupe de travail d¡¯experts sur les personnes d¡¯ascendance africaine, ? le fait de ne pas ventiler par race les donn¨¦es relatives aux tests masque les effets sp¨¦cifiques de cette crise sur les personnes d'ascendance africaine ? et contribue m¨ºme ¨¤ en ? normaliser les aspects ?. Or, , ? l¨¤ o¨´ des donn¨¦es ventil¨¦es existent, de fortes disparit¨¦s raciales sont ¨¦videntes ?.

Cette position est partag¨¦e par la Haut-Commissaire aux droits de l¡¯homme, selon laquelle ? la collecte, la ventilation et l'analyse des donn¨¦es par ethnicit¨¦ ou race, ainsi que par sexe, sont essentielles pour identifier et traiter les in¨¦galit¨¦s et la discrimination structurelle qui contribuent aux mauvais r¨¦sultats de sant¨¦, y compris pour la COVID-19 ?.

? La lutte contre cette pand¨¦mie ne peut ¨ºtre gagn¨¦e si les gouvernements refusent de reconna?tre les in¨¦galit¨¦s flagrantes que le virus met en ¨¦vidence ?, mart¨¨le Mme Bachelet.  ? ses yeux, la D¨¦cennie internationale des personnes d'ascendance africaine 2015-2024, dont elle coordonne les travaux pour les Nations Unies, offre une occasion de ? s'attaquer aux injustices historiques qui ont ind¨¦niablement contribu¨¦ aux disparit¨¦s raciales actuelles ?.