23 février 2023

Entre le 30 juillet et le 2 ao?t 2010, une série d’attaques a eu lieu dans le territoire de Walikale, situé dans la partie orientale de la République démocratique du Congo déchirée par des conflits. Au cours de ces attaques contre des civils, au moins 303 personnes dans 13 villages ont été victimes de viols systématiques commis par le Nduma défense du Congo (NDC) ainsi que par d’autres groupes armés illégaux1. Il s’agissait d’une tragédie humaine aux proportions énormes dans une région qui avait déjà connu plusieurs années de violence. En outre, des membres du NDC avaient commis d’autres crimes graves dans la région avant et après ces événements.

Le 23 novembre 2020, un tribunal congolais a condamné l’ancien dirigeant du NDC, Ntabo Ntaberi Sheka, à la prison à perpétuité pour crimes de guerre, notamment pour meurtres, viols, esclavage sexuel et enr?lement d’enfants, commis entre 2007 et 2017 dans le territoire de Walikale2. La Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo () a assuré la protection des victimes et des témoins et a apporté un appui technique, logistique et financier aux autorités judiciaires congolaises pendant les enquêtes conjointes ainsi que pendant le procès. 

? bien des égards, ce cas illustre l’importance de l’appui fourni aux institutions nationales chargées de la justice et de la sécurité par les opérations de paix des Nations Unies. Un tel appui est essentiel pour atténuer les causes possibles de conflit et est particulièrement important dans les contextes où il existe un manque de confiance entre la population et les représentants de l’?tat ou un désir, par les personnes qui sont touchées, de se faire justice elles-mêmes. Des résultats, comme ceux obtenus dans l’affaire contre l’ancien dirigeant du NDC, renforcent la crédibilité, la légitimité et la responsabilité des institutions de l’?tat, y compris des forces de sécurité, et contribuent à protéger les droits de l’homme.

L’absence de justice alimente directement les conflits. Un jeune homme dont les amis ou les parents ont été des victimes peut devenir une recrue pour les groupes armés illégaux. L’absence de justice, réelle ou per?ue, est source de ressentiment et de conflit sur les plans individuel et sociétal.

Une réforme fondamentale des systèmes de justice et de sécurité prend des décennies. Plus important encore, l’absence d’un appareil judiciaire indépendant, représentatif ou inclusif peut constituer un obstacle important. 

Les opérations de paix des Nations Unies, qui apportent un appui aux institutions nationales chargées de la justice et de la sécurité, sont régies par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ces mandats relèvent historiquement de trois grandes catégories : le soutien exécutif, les activités de renforcement des capacités et l’appui direct en matière de sécurité. L’objectif général consiste à renforcer les capacités nationales, à étendre l’autorité de l’?tat et à améliorer l’efficacité et le r?le des institutions nationales chargées de la justice et de la sécurité ainsi que la confiance dans ces institutions en vue de prévenir la violence, de combattre l’impunité et de soutenir la paix. Cette assistance est principalement fournie dans la perspective du renforcement de la cha?ne de justice pénale — comprenant les institutions chargées de l’application des lois, les institutions judiciaires et les institutions pénitentiaires — un élément central des efforts de stabilisation et de sécurité dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit.

Dans un 3, la Banque mondiale a montré la relation étroite qui existe entre des institutions solides chargées de la justice et de la sécurité, la création d’emplois et l’atténuation des cycles de violence. C’est, certainement, le cas dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit où le leadership au niveau de l’?tat, une vision claire et des objectifs globaux sont essentiels pour la réforme de la justice et de la sécurité. En revanche, ou à une sécurité durable.

Une réforme fondamentale des systèmes de justice et de sécurité prend des décennies. Plus important encore, l’absence d’un appareil judiciaire indépendant, représentatif ou inclusif peut constituer un obstacle important. Compte tenu de cet effort à long terme, les opérations de paix peuvent, cependant, avoir un impact immédiat en se concentrant sur des initiatives spécifiques, en particulier en ce qui concerne l’obligation de rendre des comptes pour des crimes qui sont des facteurs de conflit et d’instabilité. Et ce, dans des contextes où la corruption et le favoritisme servent souvent les intérêts clés de ceux qui détiennent le pouvoir et qui veulent maintenir le statu quo. En outre, la réforme pénitentiaire est rarement considérée comme une priorité majeure, car les personnes détenues font, le plus souvent, partie des groupes les plus démunis de la société.

Toutefois, plusieurs possibilités de réforme des sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit sont possibles. Les accords de paix et les initiatives constitutionnelles, associées à un leadership adéquat aux plus hauts niveaux politiques, peuvent favoriser un véritable changement. Le fait que les institutions de justice et de sécurité doivent parfois être entièrement reconstruites à la suite d’un conflit ouvre la voie à la mise en place de procédures visant à contr?ler l’intégrité d’une nouvelle génération de policiers, de personnel judiciaire et pénitentiaire, leur sélection, leur recrutement et leur formation. La nomination d’un personnel qualifié et bien formé ainsi que la mise en place d’un soutien administratif adéquat peuvent aussi présenter une occasion unique de mener des réformes significatives. Cette démarche, ainsi que la mise en place d’institutions fonctionnelles internes et externes en matière de justice et de responsabilisation, peut créer un nouveau paradigme pour la justice et garantir la justice et la sécurité dans un ?tat.

Certaines le?ons essentielles ont été tirées de l’expérience des opérations de paix des Nations Unies. Tout d’abord, l’importance d’une démarche inclusive et collaborative dans laquelle les priorités et les plans nationaux sont soutenus dans le cadre de la mise en ?uvre du mandat, est aujourd’hui reconnue. Deuxièmement, toute initiative doit s’appuyer sur des objectifs politiques et sécuritaires clairs et être mise en place pour les soutenir; la réforme des institutions de justice et de sécurité est rarement, voire jamais, une question purement technique. Troisièmement, une approche progressive peut être utile pour créer une dynamique dans des secteurs spécifiques qui peuvent servir de modèles dans d’autres domaines. Quatrièmement, malgré des priorités concurrentes, ces initiatives sont toujours des entreprises à long terme qui nécessitent des investissements importants en capital humain et en ressources financières. En même temps, il est essentiel de se concentrer à court terme sur des initiatives spécifiques qui peuvent avoir un impact immédiat, en particulier en ce qui concerne la responsabilité des crimes qui exacerbent les facteurs de conflit et d’instabilité.

Enfin, et surtout, le leadership est crucial. Il est nécessaire de garder une vision claire au plus haut niveau de l’?tat, ce qui peut avoir un impact important sur l’attitude de la population et encourager une culture du respect pour l’état de droit. Bien que le personnel de la police, de la justice et des services pénitentiaires des Nations Unies représente moins de 10 % de l’ensemble des déploiements dans les opérations de paix, leurs activités restent fondamentales pour l’instauration d’une paix et d’une sécurité durables ainsi que pour la bonne exécution des mandats de ces missions. De plus en plus, ces mandats appuient l’état de droit dans les pays se relevant d’un conflit et, par extension, soutiennent le développement d’institutions crédibles et légitimes. Cela reste une condition fondamentale pour parvenir à une paix et à une sécurité durables dans ces contextes.

Notes

1Rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, le 8 octobre 2010, S/2010/512, paragraphe 8.  

2Rapport du Secrétaire général sur la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, le 30 novembre 2020, S/2020/1150, paragraphe 44.

3La Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde : conflits, sécurité et développement, 2011, ISBN: 978-0-8213-8500-5. 

 

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